The Canadian Journal of Psychiatry/
La Revue Canadienne de Psychiatrie
2021, Vol. 66(9) 778–781
© The Author(s) 2020
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DOI: 10.1177/0706743720980262
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Les données recueillies lors de crises et tragédies passées prouvent que les problèmes de sommeil survenant durant ou peu de temps après un événement traumatique sont reliés à une probabilité accrue de développer des symptômes psychiatriques durables. Or la pandémie COVID-19 et ses conséquences à moyen et long-terme combinent plusieurs facteurs de risque pour le sommeil, tant pour les intervenants de la santé que la population générale. Notre relevé mensuel des publications scientifiques qui combinent COVID-19 et sommeil/insomnie entre janvier et juillet 2020 révèle un taux de croissance comparable pour les articles qui portent plus précisément sur la santé mentale mais aucune ne porte sur les résultats d’une intervention. Nous proposons qu’il faille agir rapidement sur les difficultés de sommeil en cette période de pandémie afin de protéger l’équilibre psychologique individuel à moyen et long terme, d’autant plus que les outils nécessaires àlaprévention de l’insomnie, sa détection et son traitement sont à la portée de tous les professionnels de la santé mentale.
severe acute respiratory syndrome coronavirus 2, SARS-CoV-2, sleep, mental health
Le sommeil joue un rôle déterminant pour la santé physique, cognitive et psychologique. Un sommeil de qualité est crucial afin d’assurer l’équilibre requis pour affronter les multiples défis causés par les situations de crise. La pandémie COVID-19 s’accompagne d’une crise psychosociale, avec son lot d’inquiétudes, de situations stressantes et de détresse liées àl’insécurité financière, à l’organisation de la vie familiale et professionnelle, la santé des proches, l’isolement social. Les premiers articles scientifiques sur la santé mentale des intervenants de la santé qui oeuvrent en première ligne montrent des niveaux élevés de symptômes liés à l’anxiété, àladépression et à l’insomnie.1 Des observations comparables viennent d’être faites dans la population générale.2 Les effets psychologiques à long terme sont à prévoir puisque les crises et tragédies passées, quoiqu’en soit la cause, ont laissé des séquelles psychologiques mesurables dans la population, tant chez les adultes que chez les enfants, y compris l’insomnie.3-6 Dans le contexte de précarité sanitaire qui entoure la pandémie, nous proposons qu’il faille agir rapidement sur les difficultés de sommeil en situation de crise afin de protéger l’équilibre psychologique individuel à moyen et long terme.
Nous avons effectué un relevé de la littérature scientifique jusqu’au 03 juillet 2020 en interrogeant la base de donnée PubMed avec l’argument suivant: ((sleep) OR (insomnia)) AND (covid-19) en excluant les doublons et les articles non soumis à une révision par les pairs (« preprint »). Nous avons ainsi identifié 311 articles entre janvier et juin 2020, pendant la première vague de la pandémie COVID-19. La majorité de ces articles sont en langue anglaise, cinq sont en français, deux en allemand deux en espagnol et deux en chinois (Figure 1). L’évolution par mois pendant la première vague de la pandémie montre une croissance comparable entre, d’une part, le nombre total d’articles qui portent sur la COVID-19 et le sommeil (échelle ordonnée de gauche) et, d’autre part, le nombre parmi ceux-ci qui portent plus précisément sur la santé mentale (échelle ordonnée de droite) en utilisant l’argument suivant: ((sleep) OR (insomnia)) AND (covid-19) AND ((anxiety)OR(stress)) AND ((depression) OR (mood)) (Figure 1). Les résultats illustrent bien l’intérêt scientifique et l’importance clinique du sommeil et de la santé mentale lors d’une crise comme celle de la pandémie COVID-19.
Selon deux études chinoises indépendantes, plus du tiers (34% et 36%) des médecins et infirmiers.ères traitant des patients exposés à la COVID-19 souffrent d’insomnie selon leurs réponses à un questionnaire clinique validé.1,7 Une étude italienne basée également sur des questionnaires validés et menée auprès de 1310 participants âgés de 18 à 35 ans montre que l’imposition du confinement s’accompagne d’une baisse significative de la qualité auto-rapportée du sommeil, d’un allongement du délai d’endormissement et d’un report plus tardif des heures du coucher et du lever.2 On sait que l’anxiété etladépression sont des comorbidités fréquentes (> 40%) de l’insomnie8 et cela s’avère également dans les trois études précitées.1,2,7
La relation entre un mauvais sommeil et les troubles de santé mentale est bidirectionnelle: un sommeil trop court ou de mauvaise qualité augmentelerisquededépression et d’anxiété et, inversement, la dépression et l’anxiété perturbent le sommeil sous forme d’insomnie ou de cauchemars.9,10,11-13 Le cas des feux de forêts de Fort McMurray au Canada en 2016 illustre bien cette situation:14 379 personnes ont été interrogées 3 mois après avoir étéévacuées et plus de 60% d’entre elles présentaient un état de stress post-traumatique et près de 45% présentaient les symptômes typiques d’un trouble d’insomnie.
Les méfaits de la crise sur le sommeil risquent de perdurer. Ce qui commence par des heures du coucher plus tardives à cause d’un relâchement des horaires habituels laisse le champ libre aux ruminations de natures diverses et ouvre la porte à l’insomnie. Ce sont les personnes avec une histoire personnelle ou familiale de troubles du sommeil ou de la santé mentale qui sont particulièrement sensibles aux conséquences de l’insomnie et du manque de sommeil sur le fonctionnement diurne.15-19 Ces conséquences, par exemple la somnolence, le changement d’humeur, l’altération de la performance, font le nid de l’insomnie: je dors mal, je fonctionne mal, je rumine, je dors mal ....20 Il s’avère donc tout aussi capital de détecter l’insomnie chez les personnes de tout âge exposées au stresseurs lié à la pandémie.
Il n’est pas nécessaire de mesurer objectivement le délai d’endormissement et la quantité deréveils nocturnes pour se faire une opinion sur l’importance clinique d’une plainte de sommeil et sur la nécessité d’intervenir. Des données chiffrées fiables peuvent être obtenues chez l’adulte par de brefs questionnaires comme l’Iindex de sévérité de l’insomnie, une échelle en sept points validée au Canada.21 Cette échelle permet non seulement de documenter les symptômes liés au sommeil en tant que tel mais informe aussi sur les conséquences diurnes causée par ces symptômes comme la détresse, l’atteinte à la qualité de vie et les préjudices sur le fonctionnement diurne (fatigue, humeur, productivité ...). En ce qui concerne les enfants, il faudra se rappeler que l’anxiété parentale joue un rôle déterminant dans la qualité du sommeil de leur progéniture.22 Chez l’enfant comme chez l’adulte, l’apparition de rêvesanxiogènes,de cauchemars,de somnambulisme, de somnolence diurne sont aussi des signes que l’équilibre psychologique est mis à mal. Ainsi, la situation pandémique a ravivé les cauchemars chez les individus dont le trouble de stress post-traumatique avaient été traité.23
Protéger le sommeil en temps de crise se fait par quelques règles faciles àénoncer mais parfois plus difficiles à négocier chez les intéressés.es, comme dans la vie ordinaire: un horaire coucher-lever comme avant la pandémie si on est en confinement, une période de calme avant le coucher qui favorisera les activités relaxantes et « non-électroniques » et évitera le sujet de la pandémie ainsi que la planification du lendemain, une heure du lever stable qui évitera surtout les levers tardifs les matins de fins de semaine.23-26
Même si l’approche pharmacologique est encore la plus utilisée pour traiter l’insomnie et peut être indiquée pour traiter une insomnie situationnelle, la thérapie cognitive-comportementale est reconnue comme traitement de choix pour l’insomnie chronique dans plusieurs guides de bonnes pratiques cliniques.23 Dans les cas d’une co-occurrence entre l’insomnie et un autre trouble psychiatrique, les données probantes indiquent qu’il est nécessaire d’intervenir sur les deux plans et il n’existe plus d’insomnie « secondaire à».27 Bien que le traitement de l’insomnie puisse réduire les symptômes psychiatriques et inversement,19,24 les deux types de symptômes constituent des entités le plus souvent indépendantes et demande des interventions qui leurs sont spécifiques.28 Les données de quelques études de traitements chez des patients qui présentent un trouble d’insomnie et un trouble comorbide de dépression majeure indiquent que les patients qui reçoivent une TCC pour l’insomnie et un antidépresseur ont une bien meilleure réponse thérapeutique que ceux qui reçoivent uniquement un antidépresseur.29,30 On en sait par ailleurs encore peu sur l’interface entre la physiopathologie de la COVID-19 et les réseaux qui régulent le sommeil pour expliquer comment le virus pourrait influencer directement et spécifiquement la physiologie du sommeil. Du point de vue thérapeutique, on sait tout de même que les propriétés électroniques de la mélatonine sont compatibles avec une activité biologique potentielle contre la protéine du coronavirus SARS-CoV-2 et sa destruction, ce qui ne constitue toutefois pas une action directe sur les mécanismes régulateurs du sommeil.31
Une enquête récemment publiée portant sur 5,525 Canadiens a mis en lumière trois profils principaux dans le changement des habitudes de sommeil associés àlapandémie:32 décalage de l’horaire (coucher tardif, lever tardif), moins de temps au lit (coucher tardif, lever hâtif) et plus de temps au lit (lever tardif). L’apparition des deux premières conséquences étaient associées aux séquelles les plus importantes sur le sommeil, alors que 51% des répondants.tes se plaignaient d’insomnie, et sur santé mentale alors que les auteurs identifiaient une panoplie de facteurs modérateurs parfaitement indépendants comme le sexe des répondants.tes, la maladie chronique, le statut d’emploi, les responsabilités familiales et l’abus d’alcool. L’hétérogénéité de ces associations montre qu’il faudra individualiser les interventions pour améliorer le sommeil en temps de pandémie.
On sait qu’une mauvaise nuit peut être suivie dès le lendemain par des problèmes de santé physique, cognitif et psychologique (humeur, performance). Les problèmes de sommeil survenant durant ou peu de temps après un événement traumatique sont reliés à une probabilité accrue de développer des symptômes psychiatriques durables. La pandémie COVID-19 et ses conséquences à moyen et long-terme combinent plusieurs facteurs de risque pour le sommeil, notamment l’isolement social, l’insécurité matérielle, la charge mentale et l’anxiété. Non seulement en période de pandémie comme maintenant, mais de façon générale, il est de bonne pratique de dépister et intervenir sur la détérioration du sommeil et ainsi prévenir ses effets néfastes sur la santé mentale.33,10
Nous sommes maintenant dans la deuxième vague de la pandémie et une lassitude face aux contraintes sanitaire se fait sentir,34 ce qui met en péril le succès des mesures de reconfinement y compris en ce qui a trait au sommeil. On peut dès lors craindre que les comportements nocifs au sommeil puissent persévérer et conséquemment non seulement perpétuer leurs conséquences sur la santé mentale mais également sur la santé physique, ce qui aggraverait extraordinairement le problème.35 À nous de jouer.
The author(s) declared no potential conflicts of interest with respect to the research, authorship, and/or publication of this article.
The author(s) received no financial support for the research, authorship, and/or publication of this article.
Roger Godbout, Ph.D. https://orcid.org/0000-0002-1812-9780
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu du présent article.
Cet article n’a bénéficié d’aucun support sous forme d’une subvention spécifique octroyée par une agence subventionnaire des secteurs public, commercial ou sans but lucratif.
1 Département de psychiatrie, Université de Montréal, Québec, Canada
2 Laboratoire et Clinique du sommeil, Hôpital en santé mentale Rivièresdes-Prairies, Montréal, CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, Québec, Canada
3 Département de psychologie, Université de Montréal, Québec, Canada
4 Centre d’étude avancée en médecine du Sommeil, Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, Québec, Canada
5 École de psychologie, Université Laval, Québec, Canada
6 Centre d’étude des troubles du sommeil, Centre de recherche CERVO, Institut universitaire en santé mentale de Québec, Québec, Canada
* www.cscnweb.ca
** www.css-scs.ca
Auteur correspondant:Roger Godbout, Ph.D, Laboratoire et Clinique du sommeil, Hôpital en santé mentale, Rivières-des-Prairies, 7070 Boul. Perras, Montréal, Québec H1E, Canada.Courriel: roger.godbout@umontreal.ca